jeudi 23 janvier 2014

A LA BÊTE !!

                                             La Bête du Val de Loire

Quand on parle de Bêtes célèbres il en est une qui vient naturellement à l'esprit (non, pas moi...), celle du Gévaudan* qui s'est rendue tristement célèbre en ensanglantant les magnifiques plateaux de la Margeride, il y a un peu plus de deux siècles. Elle ne fut pourtant pas la seule, malheureusement, à défrayer la chronique de son temps et à terrifier les populations et les campagnes. Entre 1742 et 1754, dix ans avant la Bête du Gévaudan, la Bête du Val de Loire (oui, oui, ici...) a sévi d'Amboise à Blois, de Vendôme à Loches, passant par Tours, Montrichard...

Elle fait sa première victime officielle au mois de Mai de l'an de grâce 1743, à Villeromain. Il s'agit d'une petite fille, Marie Delauné. Selon le prêtre qui établit l'acte de sépulture, la malheureuse a été « mangée par une beste etrangère ». Première attaque, et déjà, on parle de beste étrangère et non pas du loup, pourtant prompt à attirer les foudres des paysans. Pourquoi ne pas faire au plus simple et désigner à la vindicte populaire le grand méchant croqueur de petits chaperons rouges et de mères-grands ?? Parce que les paysans le connaissent bien, messire loup, et ils savent très bien que ce grand méchant ne s'attaque pas à l'homme, sauf à de très, très rares occasions.

Marie Delauné est donc la première, mais pas la dernière victime, loin s'en faut, de cette « beste ». La liste va très rapidement s'allonger et s'écrire en lettres de sang. Le 27 du même mois de Mai, à Lancé, c'est au tour de Jeanne Louis, dix ans, d'être « estranglée par la beste ». Les chiffres officiels feront état de 147 personnes victimes du monstre. On peut hélas, sans grande crainte de se tromper, doubler ce chiffre. Toutes les attaques n'ont pas été recensées. En effet, les seuls documents officiels de l'époque, sont ceux établis par les prêtres lors des actes de sépulture, et bien souvent, la nature de la mort n'est pas indiquée. Il ne sera donc pris en compte que ceux portant mention « mangé par la Beste ». Parmi les villages éprouvés par ce monstre, au hasard des archives, notons Pontlevoy, cinq morts, Vallières les Grandes, onze, Chaumont sur Loire, six, Monnaie, huit, Ceré la Ronde, six.

Mais cette Beste, as-t'on au moins une idée de sa nature ? Comme nous l'avons vu, le loup est mis hors de cause dès la première attaque. En effet, on  le sait, ses proies principales sont l'agneau, le mouton, la brebis. Mais pas le berger, ou la bergère, fût-elle seul(e) et sans défense.

En effet, le loup est un animal craintif qui fuit l'homme comme la peste. Un jeune enfant, si chétif soit-il, réussit sans peine à le chasser, en brandissant un grand bâton, en criant, ou en lui lançant une pierre. Messire loup, pour une fois, innocenté, qu'est donc ce monstre ? On parle de « beste féroce », de « mauvaise beste », de « Bête », ou de « beste estrangère ». Ceci démontre que ce monstre n'est pas connu des paysans. Alors on ne va parler que de « Bête », faute de savoir exactement quelle est sa nature.

Ceci posé, ce n'est pas parce qu'on ne  sait pas ce que c'est que l'on va la laisser faire. La lutte s'organise. En premier lieu, des battues classiques. Classiques mais vaines. Non pas que le courage et la volonté des participants ne soient en cause, mais le monstre demeure introuvable. Ce qui ne l'empêche pas de continuer ses ravages. Il est là, il rôde, attaque et tue. Alors le comte de Saint-Florentin** (tiens, curieux, çà, c'est lui que l'on retrouvera en Gévaudan, exactement dix  années plus tard, lors du règne de terreur de la célébrissime Bête du même nom... j'y reviendrai.), fait appel à la prestigieuse Louveterie Royale qui interviendra, mais sans plus de succès. La Beste va simplement aller terroriser et tuer ailleurs. Elle étendra son emprise de terreur et de sang sur un carré de 120 km de côté. Blois,Vendôme et leurs environs deviendront son territoire, et son garde-manger. Aux chasses et au battues, vient s'ajouter la multitude de pièges, de cadavres de chiens dûment empoisonnés placés  un  peu partout dans les champs et les bois. En vain. La Beste ne donne pas dans ces pièges, comme le ferait un loup ordinaire. Comme si elle savait. Ou que quelqu'un le lui ait appris...

Le 27 Mai 1748, l'Armée interviens. Un détachement militaire est à Amboise. Il chassera tout l'été. En vain, là aussi. La Beste se contente de s'éloigner, et elle traverse le Cher. Le 27 Juillet, elle tue, à Orbigny. Réaction immédiate des paysans, une battue se forme pour une chasse au cours de laquelle est tuée « une beste revêtant l'aspect d'un loup ». La tête est montrée aux autorités, et présentée, de village en village.
On faisait ainsi, en ces temps pas si reculés, quand une bête malfaisante était tuée, on en montrait la tête dans les villages, pour récolter quelques écus. Est-ce donc la fin du cauchemar ? Que nenni, hélas. Le 30 juillet, à Ceré la Ronde, nouvelle victime. Cette diablesse de « mauvaise beste » ne serait donc pas seule ? Seraient-elle plusieurs ? Mais combien ? Et as t-on seulement tuée la vraie ?

La Beste du Val de Loire terminera sa meurtrière épopée en  Mars 1754. Elle ne sera pas tuée. Elle disparaitra, purement et simplement, après cette date. Mais si elle  n'a pas été tuée, qu'est-elle donc devenue, cette satanée mauvaise Beste ? Personne n'en sait rien. Les faits, seuls et têtus, sont là, à partir de Mars 1754, après onze années passées à semer la terreur et la mort, la Bête du Val de Loire disparaitra du jour au lendemain quasiment. La vie reprendra son cours, simple et laborieuse, et tout rentrera dans l'ordre.

An de grâce 2013. Deux cent cinquante neuf ans ont passé. En sait-on plus, maintenant, sur ce qu'était cette « Beste qui mangeoit les chrestiens » ? Non. Les loups  mis hors de cause, on l'a vu, que reste t-il alors ?. On a parlé de loup-cervier, c'est à dire un lynx, mais la morphologie de ce bel animal et celle du loup sont très différentes. Or, tous les témoins parlent d'une bête « faite comme un loup ». Alors quel animal est le plus proche, morphologiquement, du loup, puisque ce n'en est pas un ? La réponse est évidente, le chien. La,  ou les,  Bêtes du Val de Loire aurai(ent) donc été des chiens? Mais pas plus il y a deux siècles qu'aujourd'hui les chiens n'attaquent pas l'homme naturellement. Auraient-ils été, alors, dressés à tuer ? Ça se peut.
Mais dans ce cas, par qui ce, ou ces chiens auraient-ils été dressés ? Ça prends du temps, çà coûte de l'argent. Et les paysans de l'époque, comme ceux de maintenant, n'étaient pas riches et avaient certainement autre chose à faire que de dresser un chien à tuer. Il faudrait donc faire intervenir quelqu'un qui a le temps, et l'argent. Or, à l'époque, les nobles seuls avaient ce privilège. Le Comte de Saint-Florentin était de ceux là. Et c'est précisément lui que l'on retrouve en Gévaudan, exactement dix années plus  tard, quand la célèbre Bête a paru, laissant derrière elle une trainée d'horreur, de terreur et de mort, comme sa moins connue consoeur du Val de Loire. Etrange, non, comme coïncidence ? Alors une question, évidente, se pose : le Comte, ou son entourage proche,  aurait-il exporté le principe de la Beste, du Val de Loire en Gévaudan ?  On trouve, en effet, des similitudes pour le moins troublantes entre les deux affaires.

Voyez plutôt :
-Une Beste inconnue, revêtant l'aspect d'un loup mais qui n'en est pas un.
-qui attaque bergères et jeunes enfants jusque sur le pas de leur porte, comme en témoigne l'acte de sépulture d'une des dernières victimes de la Bête du Val de Loire : « Inhumé la teste de Jeanne Mohyer, le corps dudit enfant ayant été emporté par un loup enragé dans le bois que l'on ne put trouver ce qui est arrivé hier au soleil couchant et ledit enfant ayant été pris à la porte de ses père et mère », et la réputation de la Bête du Gévaudan, qui, à plusieurs reprises, elle aussi, est venue chercher sa victime à la porte de sa maison.

-Jeanne Mohyer a donc été décapitée, là aussi comme de nombreuses victimes de la Bête du Gévaudan on citera au palmarès de cette dernière Gabrielle Pelissier, dûment dévorée et décapitée, mais qu'on a retrouvé tête sur les épaules, et corsage sagement reboutonné. Or,  aucun animal ne décapite ses victimes ni ne reboutonne les corsages après avoir dévoré ce qu'il y a dessous. Ah, si, un : l'Homme...
-qui échappe aux battues, aux pièges et au poison, se jouant de et mettant en échec et l'Armée, comme si elle savait devoir se méfier et des hommes, et des pièges. Ou qu'on  le lui ait appris...
-qui fait plus d'une centaine de victimes avant soit de disparaître mystérieusement, soit d'être tuée dans des circonstances assez étranges (le coup de fusil de Jean Chastel, en Juin 1767 à la Sogne d'Auvers, en Gévaudan, posera de nombreuses questions qui ne sont pas toutes, à ce jour, résolues).
Nous avons là d'un faisceau d'indices pour le moins troublant, qui mériterait que l'on approfondisse la question. Il serait intéréssant de mener l'enquête, mais jusqu'à présent, à ma connaissance, nul ne s'y est encore attelé.  (Pourquoi vous me regardez vous, tous??).




 
Loup Solitaire



*Le Gévaudan représente l'actuel département de la Lozère, et une partie du sud de l'Auvergne. La Margeride est le nom d' un massif montagneux de cette région sauvage, désolée, et magnifique.

**Ministre d'Etat sous Louis XV, qui a fait office de préfet dirait-on de nos jours, dans les deux régions citées, Val de Loire et Gévaudan.

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